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le peuple, cet autre savant quand il s’y met, qu’un homme, d’après les ordres du ministre, allait s’occuper d’essayer sur la santé des pauvres gens de la nourriture des pourceaux. On se tint en garde. Comprenait-on la scélératesse de ce médecin, de ce charlatan, de ce chimiste ? D’où sortait-il ? Plus d’une fois on menaça dans la rue cet ennemi du peuple. Lui commençait à douter. Puisqu’elle est venue à bien, est-ce qu’on ne la mangera pas ? disait-il en touchant à sa pulpe dédaignée. Il s’adressa aux gens de cour qui avaient abrité sous leur protection le mesmérisme et le magnétisme ; il fut bien reçu. Ceux-ci, des marquis, des ducs, des princes, celles-là de grandes et illustres dames, goûter au mets de ces animaux qu’on ne désignait, comme fit plus tard Delille, qu’à l’aide d’une pudique périphrase ! Le singulier personnage ! Pour qui les prenait-il ?

Il demande une audience au roi, à Louis XVI, qui l’avait déjà écouté, accueilli, et lui avait prêté la plaine des Sablons, Louis XVI la lui accorde sur-le-champ. C’était un jour de réception, celui où l’agronome fut admis à parler à Sa Majesté. Au moment d’entrer dans le salon royal, il se souvint de la haine du peuple contre lui, de l’indifférence des gens du monde pour sa découverte, du dédain des savants, du mépris des personnes de cour, il trembla ; il se repentit, il recula un instant devant sa détermination de parler au roi. Que n’était-il resté à broyer des remèdes dans le coin de son hôpital, obscur pharmacien qu’il était, ou pourquoi n’était-il pas maintenant auprès de sa bonne sœur, qui priait Dieu pour lui, le sachant devant un des plus puissants rois de la terre ?

Les deux battants de porte s’ouvrent. Que d’or ! que de pierreries ! quel fleuve de lumières ! Ce n’était pas un roi qu’il voyait, mais mille rois debout devant lui ! Il fléchit le genou.