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ou jeté des poignées de pierres dans les carrés. Il ôtait son habit, sa perruque, relevait ses manchettes, et, une à une, il ramassait les pierres lancées par les enfants. C’était souvent à recommencer la même tâche. Mais qui se décourage n’a rien dans l’âme. Il y a des tortures en réserve pour chaque vocation ; et l’on souffre, à raison de ce qu’on doit produire. Qui dit vainqueur, dit martyr. Pas d’exceptions, pas une.

Au bout de quelques mois d’espoir, de crainte, de lassitude, de regret, de doute, de certitude, la récolte s’annonça par des signes qui firent battre le cœur de notre agriculteur. On peut dire que ce fut son premier amour, car il ne connut d’autres passions dans sa vie que celles de la recherche et de l’analyse. Sa sœur, qu’il aima comme une plante utile, et dont il fut tendrement aimé, occupa toute seule la place où les autres hommes entassent tant de désirs et tant d’erreurs. Elle le logeait, le nourrissait, l’habillait, ainsi qu’on le ferait d’un enfant délicat. Elle soufflait sur sa lampe quand il veillait trop tard, elle fermait les volets afin qu’il ne se levât pas trop tôt. Presque tous les grands hommes ont eu à leurs côtés, pendant leur passage sur la terre, un de ces anges qu’on appelle du doux nom de sœur. Newton, Pascal, sont de glorieux exemples à citer. Enfin, l’œuvre d’espérance était accomplie ; l’œuvre de peine allait commencer. Notre agriculteur dégagea avec un soin paternel quelques-unes de ses plantes parvenues à maturité, et les porta à Paris dans les mottes de terre qui renfermaient leurs fruits nutritifs. Les premiers à jouir de tout, les gens du monde, se moquèrent de ces feuilles sans fleurs, de ces boules informes pendues aux racines, parodie triviale de la truffe. Ce n’était là ni une rose nouvelle ni une variété de la tulipe. Pour deux sous, pour moins, on avait beaucoup mieux au marché aux