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Grecs du Bas-Empire. Il pourrait même se faire ceci : Waterloo, espèce d’humeur froide dont rien, jusqu’ici, n’a pu nous guérir, nous attriste et nous rend publiquement honteux depuis un quart de siècle. Que demain nous prenions notre revanche, je ne sais où, à l’endroit même de cette glorieuse défaite, peut-être : eh bien ! il viendra de beaux diseurs pour regretter ces jours d’héroïque mélancolie où nous avions un désastre à venger. La phrase sera mieux faite, mais la phrase, soyez-en sûr, ne manquera pas à la circonstance. « J’aimerais mieux la veuve de la gloire, écrira quelque perroquet de M. de Chateaubriand, que l’épouse en secondes noces du succès. » Nous avons en France des mots pour rabaisser toutes nos splendeurs, comme pour cacher toutes nos misères. La phrase règne et gouverne.

Il manquait, sur le passage des restes de l’empereur, à ses obsèques, la statue d’un homme qui ne fut pas très-habile à tourner la phrase, et qui peut-être a été oublié à cause de cette grave infirmité. Cet homme n’était pas un général d’armée, un maréchal de France, comme on pourrait le supposer tout d’abord. Inutilement on chercherait son nom dans les Victoires et Conquêtes, quoique sans lui il y aurait eu infiniment moins de conquêtes et de victoires. J’ai bien vu, de l’Arc de l’Étoile à la porte des Invalides, des poses martiales, des colères foudroyantes, des têtes échevelées comme la grenade crachant la mitraille, mais je n’ai pas aperçu la tête que je cherchais, une tête fine et pensive, maigre et souffrante, inclinée sur une épaule déformée par la servitude du travail et de la méditation. Au reste, pourquoi le regretter ? Si elle eût été là parmi les autres, et que j’eusse ainsi parlé à l’homme du peuple : « Dites-moi, quel est celui-ci ? » il m’eût répondu : « Celui-ci est un brave ; il a brûlé trois villes, coupé dix ponts, et fait douze mille prisonniers.