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de quinze ans. Des coups de canne pleuvent sur le chien, il secoue, il traîne sa proie. On l’en détache, il la reprend et recommence. Les cris de sa victime en lambeaux ne l’effrayent point. On se lasse de le battre, lui ne se lasse point d’être battu, malgré, sa tête en sang, ses yeux aveugles qui pleurent, ses derniers poils qui s’envolent.

Un cri sort de la bouche de celle qu’il oblige à ramper avec elle. Elle a lu sur le collier du chien, Rog ; — elle dit : Rog ! — et Rog lâche aussitôt les vêtements qu’il déchirait, et, reconnu et appelé, il trace en courant autour de cette voix un cercle rapide de bonds, d’aboiements, de frémissements, de caresses, et puis il marche devant, et on le suit ; et il reprend son cercle, et encore sa marche ; à chaque pas il retourne sa tête aveugle.

Et la foule ne sait maintenant que penser de cette autorité du chien sur la personne qui le suit comme un enfant obéissant suit son père.

À mesure qu’on avance, la jeune fille retrouve dans sa mémoire des traces complétement effacées. Ici un mur blanc, là une enseigne, là un ruisseau ; puis sa rue, puis sa porte.

— Ah ! ah ! c’est Rog qui me revient, dit la vieille ; mais c’est étrange, il aboie de la même manière que cette fatale nuit…

Elle tira le cordon.

— Ma bonne maîtresse, vous n’êtes donc point morte ? Venez-vous me chercher pour aller au ciel ?

Sarah avait pris Lucy pour sa mère, tant Lucy était grande et belle.

Rog se jeta sur la moitié d’un poulet rôti et le mangea.

Sarah courut lui chercher l’autre moitié.