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trefois elle disait : — C’est bien haut la pendule ! Sans tabouret elle se verrait maintenant dans la glace. Et sa mère ! — Aucun développement de Lucy n’avait été perdu pour elle. Comme si Lucy ne l’eût jamais quittée, elle savait les nuances plus foncées que, mois par mois, trois années avaient données à ses cheveux. C’est demain sa fête ! disait-elle, et la maison s’emplissait de fleurs. La chaise longue de Lucy était toujours approchée de la table aux heures du repas ; son couvert mis. On attendait son retour de l’école ; la nuit on plaçait la veilleuse allumée près de son lit ; et quand sa mère était couchée, elle lui disait : — Dormez bien, Lucy, petite fille !

Elle dort déjà ! pensait-elle ; les enfants ont le sommeil si prompt.

Ceci n’était pas de la folie, puisqu’au fond une consolation réelle résidait. Mais mistress Philipps ne s’était pas aperçue que le mensonge dont elle s’était nourrie l’avait minée graduellement. Elle avait dépensé tant d’exaltation pour croire au fantôme de sa fille, qu’elle était semblable à ces mères sans lait qui s’obstinent à nourrir leur enfant ; l’enfant meurt la bouche au sein, la mère en le lui tendant.

Disons en passant, car l’événement ne vaut guère la peine qu’on s’y arrête, que lord Philipps était mort en duel à Sidney, dans la Nouvelle-Galles.

Depuis six mois, mistress Philipps ne se levait plus de son lit, auprès duquel deux places ne restaient jamais vides, celle de Sarah, celle de M. Young, lui aussi devenu bien infirme, n’y voyant presque plus.

On était alors dans l’été ; un beau soleil rayonnait dans l’appartement — appartement de malade, atmosphère d’éther — des flacons débouchés sur les tables, une galerie de cafetières près du foyer ; le foyer allumé au mois d’août,