Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvais, mon bon ami, que je sois passée grande dame ? Où est le mal ? » Commandant, qu’aurais-tu fait à ma place ?

— Le coup est trop extraordinaire pour qu’on n’en soit pas étourdi. Je ne sais ce que j’aurais fait. Et toi, enfin, quel parti pris-tu ?

— Je me résignai, non pas à me montrer à la soirée de ma femme, mais à rester, cette nuit-là chez moi. Je me plaçai derrière une porte en glace à travers les rideaux de laquelle je voyais tout sans être vu ; ce léger obstacle ne m’empêchait pas non plus d’entendre. La soirée fut extrêmement brillante. Je ne te la décrirai pas ; nous avons assez vu de soirées ; mais ma femme surpassa tout ce que dans notre temps nous avons connu en amabilité, coquetterie du monde, intarissables agréments d’esprit, éclat, facilité de maintien ; elle chanta à ravir, dansa à ravir… ma femme, qui avait appris à chanter et à danser !… et cela sans cesser de faire les honneurs de sa maison avec la dignité et l’expérience d’une douairière ! Comment avait-elle appris tout cela ?

— Parbleu ! pendant tes absences, pendant que tu t’exerçais à devenir fermier.

— En trois ans, mon ami ; mais en trois ans !

— Au besoin, mon cher Morieux, elle l’eût appris en trois mois, en trois jours ! les femmes !

— Mais la mienne, mon ami ! Tu comprends, commandant, que le lendemain je cherchai à savoir si la révolution morale était aussi profonde que j’avais lieu de le craindre. Je ne me convainquis que trop de la justesse de mes craintes. Ma femme était une autre femme, comme moi j’étais devenu un autre homme. Je lui demandai si elle comptait continuer le genre d’existence dont elle m’avait offert la veille un si brillant échantillon. Sa réponse