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Et à chaque coin les matelots, ôtant leur pipe de la bouche, soufflaient ces cris dans les profondeurs des rues sombres et endormies :

— « Il a été perdu une enfant du nom de Lucy, paroisse de Saint-Pancras, Euston square. Dix guinées à qui la ramènera. »

Et les mères, qui s’éveillaient à ces hurlements, pressaient avec terreur leurs enfants contre elles.

Ainsi s’avança le cortége jusqu’à Euston square. Là, il prit congé de mistress Philipps, et lui promit de chercher sa fille.

Il était deux heures de la nuit, dix heures que mistress Philipps était absente.

Et dix heures aussi que, debout sur le pas de la porte, Sarah attendait, ainsi que sa maîtresse le lui avait ordonné, qu’on ramenât l’enfant. Une bougie qui touchait à sa fin brûlait aux pieds de Sarah. C’était triste. La rue était déserte ; les indifférents dormaient.

Les deux femmes se comprirent. Sarah prit la bougie, et éclaira sa maîtresse ; puis elles fermèrent la porte sur elles.

On eût dit une cérémonie funèbre accomplie, un retour du cimetière. Tout était consommé.

Puis les deux femmes s’assirent l’une vis-à-vis de l’autre auprès du foyer, sans remarquer qu’il était éteint : le froid était excessif pourtant.

Après une demi-heure de silence que ni l’une ni l’autre n’osait interrompre, mistress Philipps dit :

— Sarah, savez-vous que ceux qui n’ont pas dîné doivent avoir faim à cette heure ?

— Madame, je n’ai pas songé au dîner aujourd’hui.

— Sarah, savez-vous que ceux qui n’ont pas de feu doivent avoir froid ?