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pas fort difficile qu’elle doit danser ce soir. — Ah ! madame apprend à danser. — Oh ! monsieur, madame danse à ravir, vous la verrez ce soir. » Comme traqué entre les appartements de ma femme, où je ne pouvais pas entrer, et les, personnes qui arrivaient, je courus dans la cuisine pour me cacher et attendre que ma femme voulût me recevoir.

— Quelle révolution ! mon pauvre Morieux.

— Foudroyante, mon bon ami. Enfin je suis introduit auprès de ma femme, qui s’excuse de son mieux en me disant qu’elle ne savait pas que je dusse venir, que sans cela… que, d’ailleurs, je suis le bienvenu. « Faites comme chez vous », me dit-elle en souriant, à moi planté devant elle, dans le costume que je t’ai décrit. J’avais l’air d’un fermier de la Beauce ou du Gâtinais venant à une heure indue lui payer son fermage. Je pus pourtant lui dire : « Est-ce bien vous ? — Comment ! si c’est moi ? Je suis moi comme vous êtes vous. — Mais vous voilà une femme du monde ? — Pas tout à fait. » Je t’assure, cher commandant, qu’elle était modeste dans sa réponse. Ma femme était éblouissante de beauté, de jeunesse, de distinction, belle autant que j’étais affreux. Les rôles étaient changés. « Mais, madame, je vous ai épousée pour votre simplicité ! m’écriai-je. — Et moi, mon ami, me répondit-elle, pour votre bon ton, pour votre excellent goût, pour votre esprit, pour vos manières, que je me suis efforcée d’imiter, je n’ose pas dire acquérir. » Et, ayant dit cela, elle me tendit une charmante main divinement gantée, où il me fallut un effort surhumain pour laisser tomber la mienne gantée de peau de lapin. Elle reprit doucement, et d’une voix agitée par le plaisir qui l’appelait, l’attirait dans ses salons : « Je ne vous ai pas contrarié lorsque vous avez voulu devenir gros fermier ; pourquoi trouveriez-vous