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Je m’appelle Sophia Vernon, je suis logée Keppel street, n° 20.

— Imprudente mère ! que ne lui ai-je appris cela ?

— Votre fille en dira autant, et elle vous sera rendue.

Mistress Philipps s’éloigna en pleurant.

La jeune écolière la rappela.

— Madame, quand vous aurez retrouvé votre fille, mettez-la en pension chez nous ; nous l’aimerons bien, cette chère camarade.

Le désespoir a ses degrés ; il ne nous tue pas d’un coup. Sans cela serait-il un mal ? Il nous laisse, nous reprend, varie ses forces ; il nous raille, il ment ; son nom même est un implacable mensonge. On espère beaucoup dans le plus violent désespoir.

La crise des larmes était venue pour mistress Philipps. La naïve insouciance de cette enfant avait remué son cœur. Soulevé par la Tamise, dont elle n’était pas loin, un vent frais avait détendu ses nerfs, amolli ses paupières ; c’était un baume divin pour elle de pleurer tout haut en marchant, de ne plus apercevoir qu’à travers une pluie de larmes ces lignes de cristaux et de gaz. Il était nuit ; tant mieux : on ne la verrait plus. Elle était si fatiguée d’importuner les autres de l’aspect de son affliction ! Le désespoir a sa pudeur. On l’entendrait, c’est tout ; on la prendrait pour une mendiante affamée. Que n’était-elle une mendiante affamée tenant son enfant par la main !

— Jusqu’à présent, pensa-t-elle, j’ai cherché ma fille ; mais je ne l’ai pas demandée. Essayons : c’est bien plus simple.

— Monsieur, s’informa-t-elle d’un homme dont le pas rapide témoignait une longue course parcourue, auriez-vous entendu dire qu’on eût trouvé une petite fille de quatre ans, charmante, ayant un chapeau rose, un tablier