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— Dites-moi donc alors où il faut que j’aille ! s’écria mistress Philipps, désespérée du choix qu’il fallait faire entre tous ces avis.

— Quand ce ne sont pas, reprit un marin qui passait, des Irlandais comme toi, marchand de bière à chevaux, qui les volent et les emportent en Italie pour en faire de petites mendiantes catholiques.

Le marchand de bière avait trahi sa nationalité abhorrée par son accent ; il répondit à l’apostrophe avinée du matelot :

— Quand ce ne sont pas des requins comme toi, poisson gâté, qui les volent et les embarquent avec eux pour Botany-Bay, où l’on en fait Dieu sait quoi.

— Tais-toi, houblon !

— Tais-toi, culotte goudronnée !

Décidément la dispute était dégénérée en querelle de nationalité et de religion. Chacun y prit part. Irlandais et Anglais se montrèrent les poings par la croisée. On ne pensait plus à l’enfant.

Et mistress Philipps avait les pieds sur du feu ; elle trépignait, dévorait la distance d’un bout de la rue à l’autre. Elle attendait, elle suppliait que de cet orage formé sur sa tête il en tombât une décision.

Après une demi-heure de lutte entre les Irlandais et les Anglais du quartier, quand toutes les têtes dont les croisées s’étaient montrées garnies se furent retirées, comme si le principal objet qui avait appelé leur attention eût été uniquement la dispute entre le matelot et le marchand de bière, celui-ci reprit :

— M’est avis donc que madame aille au bureau de surveillance des étrangers et des vagabonds, et à l’amirauté, afin que l’enfant ne sorte pas de la ville par les barrières ou par le fleuve, s’il n’est pas trop tard. Bonne chance, mistress Philipps !