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lorsqu’une fois la fantaisie me prit d’aller la voir sans lui annoncer ma bonne visite.

— Ah ! diable ! dit le commandant.

— Il était environ neuf heures du soir. J’entre chez moi en guêtres de cuir, en paletot de cuir laine, en chapeau rond, en gants de peau de lapin, Dieu me pardonne ! et avec une barbe de quatre jours. Et crotté ! Il avait plu depuis midi, et j’avais fait une partie de la route à cheval. Figure-toi dans quel état j’étais. Au bout du compte, j’étais comme un fermier que j’étais. Je traverse le corridor de mon hôtel, et que vois-je ? des pots de fleurs posés sur chaque marche de l’escalier, des bougies partout. Me serais-je trompé de maison ? Mais non, je reconnais mes domestiques. Ils sont en livrée neuve. Eux, c’est autre chose, ils me reconnaissent à peine. « Ah çà ! leur dis-je, qui fête-t-on ici, s’il vous plaît, bonnes gens ? — Qui ? mais tout le monde. Vous donnez une grande soirée. — Je donne une grande soirée ? — Oui, monsieur, les voitures vont venir dans une heure. Hier, vous avez aussi donné un grand souper. D’ailleurs, toutes les semaines il y a pareille fête chez vous. — Toutes les semaines ! — Oui, monsieur. — Et depuis combien de temps ? — Depuis deux ans environ. » Je croyais rêver. La phrase est très-banale, mon cher commandant, mais je n’en sais pas de plus vraie pour peindre ma situation d’esprit en ce moment. « C’est parfait, dis-je aux domestiques ; conduisez-moi vers madame. — Impossible en ce moment, madame se fait coiffer. — Mais non, dit un autre valet du haut de l’escalier, le coiffeur est parti depuis un quart d’heure. — En ce cas, conduisez-moi vers madame. — Ah ! non, dit le second valet, celui qui venait de parler : madame est en train de répéter son fameux pas avec son maître de danse ; et elle ne veut pas qu’on la dérange quand elle étudie ; elle répète un