Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douce la faisait tomber en défaillance, et ses larmes coulaient, malgré elle, en sillons silencieux le long de ses joues, dès que les sons de la musique arrivaient à ses oreilles. Son nez, mince et transparent, ses doigts, clairs et effilés, pâles comme la cire, se contractaient si un nuage, chargé d’électricité, voilait le jour. Ces organisations ont la vie des fleurs ; elles suivent, de leur corolle odorante, la marche du soleil ; elles meurent au crépuscule.

Lucy s’était endormie dans les bras du docteur, qui, après l’avoir portée dans son berceau, prit cordialement la main de sa mère, et lui dit :

— Couchez-vous aussi, mistress Philipps ; vous êtes agitée, très-agitée ; vous avez la peau brûlante. — Sarah, préparez un lait de poule à madame. Dieu vous donne une bonne nuit.

Le docteur se retira.

Mistress Philipps retomba au fond de son fauteuil, devant les derniers éclats du feu de la soirée.

Le malheur domestique de mistress Philipps avait son origine banale dans un mariage d’orgueil, imposé par la stupide ambition de son père, riche marchand de fer de la Cité. Un pair d’Angleterre ruiné avait offert de troquer ses parchemins et son fils contre la belle, l’intéressante et la fraîche Anne Wilkins. Imaginant qu’un titre était le plus beau chiffre pour clore une fortune que le commerce ne pouvait plus agrandir, le marchand de fer Wilkins crut devoir spéculer sur sa fille, et la maria au comptant. La boutique rit autant que le salon de cette union mal assortie. Elle fut en effet malheureuse. Mistress Philipps, devenue grande dame, cessa par convenance de fréquenter ses amies, filles de marchands, et les grandes dames, par convenance aussi, ne voulurent pas accueillir parmi elles l’héritière de celui qui avait fourni à leurs châteaux des espa-