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— Dans cet état de choses, docteur, il faudrait vendre les propriétés dont se compose ma dot, en confier la valeur numéraire à la probité d’un ami qui, moi étant morte, la restituerait sous main à ma fille, ou la ferait fructifier jusqu’à sa majorité. Par là nous écarterions la fatale tutelle de son père, et Lucy, ma bonne Lucy, serait sauvée. Cet ami est-il bien difficile à trouver ? ajouta-t-elle en prenant sa fille et en la déposant dans les bras du docteur.

— Mais cela est-il si pressant, mistress Philipps ? votre imagination trop vive vous abuse, croyez-moi. Votre santé est meilleure que votre opinion sur elle.

— Soit ; que perdrons-nous à ces précautions ? J’en dormirai mieux, et je dors si peu, docteur.

L’argument de la santé fut concluant.

— J’achète donc vos propriétés, ma foi ! Je n’en aurai jamais autant possédé de ma vie.

— Prenez note au crayon, monsieur Young.

« Trois fermes dans le Westmoreland, mes pâturages du Lincolnshire, une mine dans le Cornouailles, mes métairies dans le Midlesex. Burns, mon notaire, vous soumettra le cahier des charges. Je vous attendrai demain à dîner, monsieur Young. »

Sous l’affectation d’indifférence avec laquelle mistress Philipps disposait de ses biens, le docteur n’apercevait que trop le dépérissement rapide de cette bonne et attentive mère. Il n’osait plus tant la blâmer sur ses funestes prévisions quand il voyait, cette jeune femme, de vingt huit ans à peine, s’éteindre, pâlir de jour en jour, et ses dents prendre l’éclat extraordinaire que n’avaient plus ses yeux. Habitué, par l’observation, aux signes d’une décadence prochaine, il gémissait de voir la sensibilité nerveuse de mistress Philipps se développer d’une manière effrayante. Au moindre bruit elle s’éveillait en sursaut, l’odeur la plus