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Cela fait, il sort. Mais un homme, un falot à la main, l’attend au seuil de la porte. Il faut qu’il le suive. Où va-t-il ? L’apoplexie a frappé un vieillard. Le voilà auprès du vieillard. Il vient de donner la vie, il va sauver de la mort. Il ranime le vieillard au milieu d’une famille tombée à ses pieds pour lui avoir rendu un père. Son existence, c’est cela : un combat à outrance avec la destruction ; c’est de voir l’humanité toujours souffrante, toujours en péril, pâle et agonisante. Et, quand l’enfant est sauvé, quand le vieillard, grâce à lui, revoit le ciel, quand la jeune fille doit à sa science les roses qui ont refleuri sur son front, on jette trois francs par visite à cet ange de la résurrection, qui ramasse et se tait. Vous avez compté ses visites ? — Avez-vous compté ses cheveux blancs et ses rides ? trois francs !

J’ai dit qu’il n’avait pas de joies ; j’ai calomnié son âme. Il en a une que vous n’éprouverez jamais ; cette joie est celle de vous prendre bien bas dans votre lit, de raffermir vos os amollis par le mal, d’étendre sur ces os une première couche de vie, de mettre d’abord le blanc de la convalescence sur le jaune de la maladie, puis de colorer vos lèvres de la fraîcheur de la santé revenue ; de vous faire faire un pas dans l’appartement, appuyé sur son épaule ; ensuite deux, puis de vous laisser seul, confiant dans vos forces ; et sa plus pure joie, sa dernière, c’est, et vous ne vous en doutez pas, c’est de vous voir sain, emporté, fougueux, traverser, en courant à cheval, une allée du bois de Boulogne, tandis que lui, méditatif, mais deux rayons savants dans les yeux, vous suit à pied et du regard dans la contre-allée. Il vous aime comme une expérience réussie et comme un fils qui lui est né.

Quand les longues soirées d’hiver étaient revenues, le cercle de la cheminée n’était pas agrandi. Une table à thé,