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rage s’accroît par les coups qu’ils se portent ; ils s’accrochent : ils vont, l’un traînant l’autre, jusqu’au bord de la montagne ; ils glissent, ils chancellent, ils tombent, ils roulent, ils roulent ensemble… Ils n’étaient ni morts ni blessés. L’Américain, en se relevant, dit à l’Anglais : Non, monsieur, ce n’est pas vrai !

Quand l’armée française, allant au siége d’Anvers, passa au pied de la montagne du Lion, elle éprouva un si vif sentiment de douleur et d’orgueil blessé, qu’elle résolut de jeter bas ce lion insolent. Le fils se trouvait en présence de l’outrage fait au père. En un clin d’œil, des échelles furent appuyées contre le piédestal par les soldats du génie, et l’œuvre de démolition allait commencer. Toute notre jeune armée applaudissait du cœur, de la voix et des mains. Malheureusement (la raison veut qu’on dise heureusement) le maréchal Gérard fut prévenu à temps, et il s’opposa à cet acte de patriotique vivacité. Lui seul, dont la conduite fut si noble et si belle à Waterloo, avait le droit de se faire écouter des braves soldats placés sous ses ordres, de désarmer leur colère. Ils obéirent ; mais, avant de lever le siège, ils souffletèrent le lion de plusieurs coups de fusil, dont les marques sont encore empreintes sous sa gueule, et, pour mieux l’avilir dans la postérité, ils lui coupèrent un morceau de la queue.

À la base de la montagne, dans une cabane ouverte à tous les vents, un gardien se présente, à ceux qui sont descendus un registre où ils sont invités à écrire leur nom, leur pays, leur profession. Il leur offre ensuite du genièvre, de l’eau-de-vie et de la bière. J’ai vu avec plaisir qu’il ne se donnait ni pour un vainqueur ni pour un vaincu de Waterloo. Cependant il profite de l’occasion pour vous dire qu’il entretient la corde de l’escalier de la montagne. Il l’entretient si mal, et à dessein, qu’il est obligé lui-même,