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plus grand, je te l’avoue, fut de voir ma femme ne prendre aucun plaisir au luxe, à la splendeur, dont elle se trouva tout à coup environnée et comme submergée. Il me sembla qu’elle regarda en pitié, qu’elle foula pour ainsi dire aux pieds, pour me servir de l’expression consacrée, les pompes du monde et ses magnificences. Allons, me dis-je, elle a fait la moitié du chemin qui doit nous mener tous, deux à une félicité parfaite. Elle est d’une admirable simplicité. Il me reste à faire maintenant l’autre moitié du chemin, et je vais la faire. Tandis que ma femme est en train de dédaigner les séductions d’une société que j’ai dû lui montrer pour que la curiosité ne lui donnât pas plus tard le désir de la connaître, désir toujours dangereux quand il a été maladroitement comprimé, je vais, moi, de mon côté, compléter notre double éducation. Et je me rapprochai, ainsi que je me l’étais promis, de ses parents et de sa famille, bonnes gens, gens de la campagne. Je laissai ma femme à Paris, et j’allai résider avec quelque régularité au milieu de mes fermiers, m’associant à leur négoce, me familiarisant avec leurs habitudes, me levant de bonne heure, me couchant comme eux après la veillée, m’initiant enfin aux hommes et aux choses de cette autre société dont je voulais faire la mienne. L’apprentissage fut rude, mais j’espérais qu’il me récompenserait plus tard de ma patience, de mon dévouement, au bout duquel je voyais une existence calme, saine, heureuse, pour ma femme et pour moi. Cela valait bien quelques années de courage, quelques efforts de résignation.

— Quel âge avait ta femme quand tu l’as épousée ? demanda le commandant.

— Seize ans.

— En sorte que, lorsqu’elle a eu dix-huit ans, tu en as compté quarante ? dirait Mistral ou M. de la Palice.