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À peine est-on entré dans Waterloo, qu’on est assailli par les guides. En général, ce sont des hommes secs, robustes, à l’œil chaud et clair, à la tournure militaire, d’une parole facile, mais trop habitués à répéter le même rôle pour émouvoir, leur auditeur, Ils récitent : ce sont des professeurs, expliquant la poésie pauvre poésie ! Il y a trois classes de guides : le guide français, le guide anglais, le guide allemand. Dès qu’un étranger se montre, sa nationalité est aussitôt constatée, et le guide de la même nation se l’approprie sans contestation de la part des deux autres. Les guides anglais gagnent beaucoup plus que les guides français, dont les profits sont supérieurs cependant à ceux des guides allemands, par la raison que les Français vont moins à Waterloo que les Anglais, et que les Allemands n’y vont presque pas du tout. Autrefois, ces guides coûtaient dix francs ; aujourd’hui, ils se contentent de cinq francs, et même de trois francs. La plupart se souviennent de la bataille de Waterloo, à laquelle ils ont pris part, non pas comme soldats, mais comme fossoyeurs. De gré ou de force, eux, leurs pères, leurs mères, leurs frères et leurs sœurs creusèrent, pendant plus de huit jours, les fosses où ils précipitèrent quatre-vingt-dix mille cadavres. C’était, un peu avant la moisson : les blés furent perdus ; l’été suivant, ils furent magnifiques.

Nous mîmes pied à terre à l’hôtel du Mont-Saint-Jean ; un des plus considérables du pays, et nous fûmes introduits dans un appartement au rez-de-chaussée, composé de deux pièces. Par une conduite dont la diplomatie n’échappa ni à la voyageuse anglaise ni a moi, l’hôte du Mont-Saint-Jean a orné les murs de son salon de portraits où toutes les opinions trouvent leur compte. Si le Français s’indigne : un montent à l’aspect d’un tableau qui représente lord Wellington à cheval, tenant à la main un verre