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étroite et couverte, mais qui devait nous laisser voir bientôt, sur ses deux flancs profondément creusés, des voûtes et encore des voûtes de feuillages à étonner le regard. Les peupliers, les ormes, les platanes, semblent se défier à qui montera le plus haut vers le ciel, vers le ciel qu’on ne découvre pas. Ce sont autant de colonnes dont l’écorce grise et savonneuse imite le poli de la pierre ; on dirait un temple de druides où les rayons du soleil ne percent jamais ; Le sol étale au pied des arbres les feuilles amoncelées de plusieurs années ; elles sont toutes là par jonchées et par couches, les sèches sur les pourries, les jaunes sur les vertes, les pâles sur les pourprées ; une chemise de mousse rude et verdâtre emprisonné le tronc des arbres à une hauteur de plusieurs mètres, comme pour les garantir du froid, qui doit être excessif dans cette forêt, si j’en juge par celui que j’éprouvais moi-même, quoique nous fussions au 18 juin. Malgré mes vêtements de drap et un manteau, je frissonnais, je croyais être en plein décembre. Il était neuf heures du matin, et les vapeurs de la nuit n’étaient pas encore dissipées. Derrière leur voile bleu qui pendait, déchiré, des hautes branches comme des toiles d’araignée du plafond d’une vieille cathédrale gothique, je voyais scintiller des points lumineux qui s’agrandissaient, qui s’éteignaient parfois subitement : c’étaient des fours à charbon, dont les dernières flammes expiraient. Une particularité me frappa vivement au milieu de cette nature fougueuse et sauvage : je n’entendais pas le moindre bruit, la plus faible palpitation dans l’air. Pendant une course de deux heures sous ces galeries d’arbres, aucun cri d’oiseau n’éveilla mon attention, n’allégea l’accablement de plomb qui descendait peu à peu de mes paupières sur mon cœur. Une forêt sans oiseaux ! on dirait que, depuis la formidable journée de Waterloo, ils sont tous partis, au bruit