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— Une industrie inconnue à Paris ! c’est fort… Enfin !… voyons quelle est cette industrie ?

— Vous supposez aisément, poursuivit le cocher, qu’après la bataille de Waterloo il resta sur le terrain beaucoup de balles, beaucoup de boutons, beaucoup de petites aigles en cuivre, des tronçons d’épée, de baïonnette, des poignées de sabre, etc.

— Sans doute.

— Eh bien ! depuis trente-quatre ans, les gens du pays vendent aux étrangers ces débris rouillés, terreux, rongés, à demi détruits par l’oxyde..

— Il me semble pourtant, mon ami, qu’il ne doit plus y en avoir beaucoup depuis trente-quatre ans qu’on en débite.

— Non, monsieur, et voilà précisément où gît l’industrie dont je voulais vous parler. Ceux dont le métier est de vendre de ces choses-là sèment une fois l’an, à frais communs, sur un espace de plusieurs lieues, des boisseaux d’aigles impériales, des milliers, de boutons de cuivre et des charretées de balles. Ils laissent ensuite reposer cette semaille jusqu’à l’été, car l’hiver les étrangers ne visitent pas Waterloo ! mais, l’été venu, ils déterrent leurs plombs et leurs cuivres, auxquels un séjour de huit mois dans un sol humide a donné une couleur de vieillesse qui trompe les plus fins et fait l’admiration des partisans du grand empereur.

— Mais c’est un affreux mensonge !

— Que voulez-vous, monsieur, le pays est très-pauvre. Ensuite, à qui cela fait-il du mal ?

Le cocher tolérant ajouta :

— Cette année, la récolte des aigles n’a pas été trop mauvaise.

Nous entrions dans la forêt de Soigne par une allée