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sèment sur le pavé des rues rend encore plus juste la comparaison.

À l’extrémité de ce riche faubourg, on effleure, en passant, les rameaux d’un parc immense dont l’ombre et la fraîcheur viennent tout à coup vous envelopper, dont les parfums résineux vous accompagnent longtemps sur la route. Ce parc, que couronne comme une aigrette un kiosque élégant, entoure la propriété noblement acquise d’un artiste deux fois célèbre, M. Bériot, le mari de madame Malibran. Malibran ! ce nom va remuer la tristesse au fond du cœur, surtout quand on le prononce a l’entrée de cette voie de longue mélancolie où l’on, est sur le point de pénétrer. En m’éloignant de cette masse de verdure et d’ombre pour me rapprocher de la forêt de Soigne, je répétais ces vers écrits par M. de Lamartine au pied de la statue qui a été élevée à la sublime Cantatrice dans le joli cimetière de Laken[1], où elle est enterrée :

Beauté, génie, amour, furent son nom de femme,
Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix ;
Sous trois formes au ciel appartenait cette âme :
Pleurez, terre, et vous, cieux, accueillez-la trois fois !

— Monsieur, me dit mon cocher, m’arrachant brusquement à ma rêverie… Monsieur !

— Eh bien ! qu’y a-t-il ?

— Vous me pardonnerez, monsieur, si je vous dérange ; mais, avant d’arriver à Mont-Saint-Jean, je dois vous engager à vous tenir en garde contre une industrie dont vous n’avez peut-être pas entendu parler à Paris.

  1. On sait que Laken est un château royal situé à trois milles de Bruxelles. Le roi des Belges en fait sa résidence habituelle, C’est à Laken que Napoléon arrêta le plan de la campagne de Russie.