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voir les commis-voyageurs figurer ici d’une manière si honorable, nous répondrions qu’ils sont depuis plus d’un siècle, sans que l’on paraisse s’en douter, les missionnaires les plus ardents et les plus actifs de la civilisation française. À la faveur de leurs vins, de leurs soieries, de leurs draps, de leurs bijouteries, ils répandent nos idées, font dominer nos goûts, prévaloir notre langue, qu’ils forcent partout à parler. Il n’est pas de ville, de bourg, de hameau en Espagne, en Italie, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, et même en Russie, où le commis-voyageur ne passe une fois par semaine. Il a remplacé le livre français que la censure étrangère proscrit, il tient lieu du journal qu’on brûle à la frontière. Il sait tout, il dit tout sans danger. Lui-même profite de cette éducation qu’il donne à son insu, et revient avec des connaissances très-étendues.

Enfin je parvins, non sans peine, à réunir les parties essentielles d’un équipage : chevaux, voiture et cocher ; mon cocher savait même un peu le français. J’insiste sur ce dernier avantage, car c’est une erreur assez commune en France de croire qu’en Belgique tout le monde parle couramment notre langue. On se trompe : les Belges, et je n’excepte pas les habitants de Bruxelles, ne parlent français que pour prouver qu’ils ne le savent pas. Je suis loin de les blâmer de cette ignorance ; je voudrais, au contraire, qu’elle fût complète, ma ferme opinion étant que leur décadence dans les arts date du jour où ils ont renoncé à parler et à écrire le flamand pour adopter une langue qui n’est pas faite pour eux. Les Belges, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, ne parlent entre eux que le flamand, qui n’est sans doute pas une langue très-harmonieuse, mais enfin qui est une langue… C’est par affectation, par imitation, que dans le monde ils parlent français ; mais, à la longue, cette contrainte a tué leur