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Le colonel lança en plein visage, à Poliveau, un regard qui ne voulait pas précisément dire : À merveille !

— Lis ça !

— Je ne sais pas lire, mon colonel.

— Eh bien ! je vais lire cette lettre pour toi.


« Mon cher neveu,

« Je vous dois une éclatante réparation, d’autant plus indispensable, que, sans un coup du hasard, je pouvais fort bien mourir avant de vous l’avoir accordée. Voici la part qu’a ce bienheureux hasard dans la conjoncture présente : J’avais méchamment renvoyé une de mes plus anciennes demoiselles de compagnie, mademoiselle Marguerite, uniquement parce que vous aviez paru le désirer lorsque j’étais chez vous. Le prétexte de son renvoi me révoltait : mettre hors de chez moi une fille de quarante-cinq ans, et pourquoi ? pour avoir lu le Chevalier de Faublas ! Mais vous l’exigiez, j’étais chez vous, on vous avait dépeint à moi comme un homme excessivement pieux ; je donnai cette satisfaction à vos principes, me réservant de revenir sur cette décision ridicule et brutale dès mon arrivée à Poitiers, et je n’ai eu garde d’y manquer. J’ai repris mademoiselle Marguerite, qui m’a affirmé sur l’honneur, et je la crois bien sincère, puisque je lui ai dit, de mon côté, que je ne lui faisais pas un crime d’avoir lu Faublas, qu’elle n’avait jamais porté dans sa chambre ce livre, dont elle ignorait même l’existence. De ce fait, qui n’avait pas été imaginé pour rien, puisque l’inventeur avait dû prévoir les suites qu’il aurait, je me suis élevée jusqu’à la supposition d’abord très-hardie, et ensuite parfaitement justifiée, qu’on vous avait trompé sur mon compte, comme on m’avait pareillement trom-