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La maison avait fini par peser de tout son poids sur la tête du malheureux colonel, qui n’avait plus pour se distraire que la conversation de Poliveau, parce que lui seul ne lui parlait jamais de Praline, et parce qu’il était le seul avec lequel il pût parler de Victoire, charmante enfant dont le souvenir frais et riant passait sur son front comme un souffle d’air pur passe et vivifie l’été au milieu des ardeurs accablantes du jour.

— Ça va bien, se disait Poliveau, ça va bien… Cependant, tout n’est pas fini… Hier au soir, le portier a remis à M. de Lostains une lettre de sa tante de Poitiers… Le colonel s’est moins promené que de coutume dans sa chambre… Si j’avais pu détourner cette lettre… Impossible !… Il aurait fallu mettre le portier dans la confidence… Nous sommes déjà trop de deux… Victoire, toute fine qu’elle est, aurait, sans mes précautions, fait la noce avant le mariage, et alors adieu… Mais cette lettre de la tante de Poitiers !…

La crainte de Poliveau reposait sur ces vagues appréhensions qui viennent assaillir l’esprit de l’homme au moment de toute grande épreuve décisive ; son pressentiment fut justifié d’une façon foudroyante quelques heures après.

À peine jour, le colonel sonna son valet de chambre, auquel il dit, en froissant dans ses mains la lettre de Poitiers :

— Commence par fermer cette porte.

— La partie est perdue, pensa Poliveau dans le mouvement d’obéissance et de peur qu’il exécuta. Me voici dans la souricière. Je connais mon maître, et je prévois bien des choses.

— Tu te souviens de ma tante de Poitiers ?

— Oui, mon colonel ; une bien excellente personne.

— Cette lettre est d’elle.

— Elle se porte bien ?…