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l’excentrique Champloux, avait été obligé, depuis la mort de son oncle, de se mettre à la tête de sa manufacture de Choisi-le-Roi ; toi-même, tu préludais déjà à l’exil où tu as fini par te confiner : qu’allais-je devenir ? et puis… et puis…

— Et puis, il faut bien le dire, interrompit le commandant, et puis tu avais trente-huit ans ; et, quand a comme nous tenu longtemps la campagne, vieilli au service, trente-huit ans vous font trouver l’oreiller agréable et le coin du feu fort doux ; je sais qu’il y a des exceptions.

— C’est parce que je n’étais pas une de ces exceptions, c’est parce que je ne voulais pas en être une, car on est un peu ce qu’on veut, que je ne me sentais pas le courage de vivre en garçon : toi, tu as eu cet admirable courage…

— Ne parlons pas de moi.

— Monsieur, vint dire tout bas Mistral à l’oreille du commandant, mademoiselle Suzon a emporté la clef de l’armoire où est le sucre.

— Je crois que celle-ci ouvre cette armoire. Tiens, sers-t’en et sors.

— Il fallait bien…

— Va-t’en !

— Oui, monsieur.

— Ne te gêne pas, commandant ; un maître de maison n’a pas de permission à demander.

— Non, ce n’est rien : une femme de confiance que j’ai ici pour diriger le château est allée pour quatre jours à Melun, et les domestiques ne savent rien faire quand elle n’est plus là. Mais continue.

— La fille d’un de mes fermiers, Lucette Vernon, était venue quelquefois chez moi pour me payer les rentes de son père. Sa naïveté, sa grâce villageoise, son charmant naturel ; sa modestie, m’avaient frappé. Lorsque je vins à