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— À Poitiers ?… sans me prévenir… sans me faire ses adieux. C’est impossible !

— Lisez, mon colonel, la lettre qu’elle m’a laissée tantôt entre les mains pour vous, et que je viens de vous remettre.

Le colonel décacheta la lettre de sa tante, et, après l’avoir lue, il s’écria :

— Ce mariage aurait pourtant fait mon bonheur, surtout dans ce moment-ci… Manqué ! Il n’y faut plus songer ; ma tante me trouve trop libertin, comme elle me le dit fort ironiquement en m’accusant d’être beaucoup trop pieux pour elle et pour la personne qu’elle m’avait choisie. Laisse-moi, dit ensuite le colonel à Poliveau en s’affaissant plein de tristesse, d’humeur, de mélancolie et de découragement, sur un canapé. :

— Tout marche à souhait, murmura Poliveau,

Le valet, de chambre se retirait, le colonel lui cria :

— Je n’y suis pour personne jusqu’à demain… Pour personne, entends-tu ?

— Oui, mon colonel… Cependant, vous descendrez pour dîner ?

— Je prendrai mon repas ici.

Poliveau laissa son maître livré au cours de ses pensées, qui n’avaient jamais été plus noires ; elle prirent même un caractère sinistre vers la fin du jour. Tout cet échafaudage de fausse jeunesse qu’il avait eu tant de peine à élever autour de lui : maîtresses, projets de mariage, chevelure noire, société de danseuse, s’écroulait et le laissait étourdi et moulu au milieu des débris.

Poliveau profita du quart d’heure de liberté que lui offrait l’amer désappointement de son maître pour aller au faubourg Saint-Antoine, dans une de ces vieilles maisons qui contiennent des populations entières, vingt corps de