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vous avez les favoris rouges et les moustaches bleu-de-ciel. Donc, vous êtes bien tricolore…

Le colonel se tenait, frémissant de rage et pâle de confusion, debout devant la glace. Praline, la vindicative Praline, riait dans son fauteuil ; elle riait comme avaient ri les employés du ministère en voyant la figure du colonel.

Poliveau, caché derrière la porte du second salon, d’où il avait tout entendu, s’était accroupi, affaissé sur lui-même, les bras ramassés, les deux mains sur sa bouche, afin d’étouffer l’hilarité dont il était trop plein.

Quand le colonel se fut repu de sa honte… et il lui fallut toute sa force d’âme pour ne pas mourir sur le coup… il passa la main sur ses yeux… il alla ensuite vers Praline, dont le rire moqueur n’avait pas encore cessé… et il lui dit :

— À combien estimez-vous le bénéfice de votre représentation ?

— Quinze mille francs au moins.

— Et au plus ?

— Vingt mille.

— Je ferai porter chez vous, avant ce soir, trente mille francs.

La générosité du colonel était grande ; la noblesse de son accent était plus grande encore en parlant à Praline, qui ne riait plus.

Le colonel reprit :

— Et vous oublierez la perte de cette représentation ?

— Oh ! tout à fait… Mais que veut dire ?

— Rien… Vous oublierez aussi de parler dans le monde, de vous moquer et de rire de ma chevelure tricolore ?

— Je vous le promets… Mais dites-moi pourquoi…

— Comme ce silence si héroïque, ajouta le colonel, sera parfois un peu pénible pour vous, et que toute peine mé-