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Poliveau chancela sur ses jambes.

— Mon colonel… a été contrarié sans doute ?…

— Oui… mais je les contrarierai aussi…

— Vous ferez bien, mon colonel.

Poliveau avait toutes les peines dû monde à garder son sérieux en regardant le visage du colonel.

— Ah ! je vous ferai rire d’une autre manière, tas de faquins !… Tu iras porter ma carte à deux ou trois de ces petits commis… je n’en avais pas sur moi. Se figure-t-on cela ?… Peut-on le croire ?… Je me présente poliment à l’un des bureaux du ministère de l’intérieur, et je dis : Mademoiselle Praline compte donner samedi une représentation à son bénéfice. Je désirerais que M. le ministre accordât aux principaux chanteurs de l’Opéra-Comique la permission de jouer à cette représentation deux actes de la Dame blanche : Qu’y a-t-il d’étrange… de ridicule dans ces paroles ?

— Rien, mon colonel.

Poliveau mâcha son mouchoir pour comprimer une explosion de rire.

— Eh bien ! le chef de bureau, au lieu de me répondre oui ou non, se met à rire insolemment à ma barbe… Je renouvelle ma demande ; la même impertinence l’accueille… Il faut aimer une femme, pour souffrir à cause d’elle une insulte pareille… Enfin, il me dit que cela n’est pas impossible, — il riait toujours, — mais que j’aie la bonté d’adresser ma demande par écrit. Sans cesser de rire, il m’accompagne jusqu’à la porte, que je ferme de manière à lui faire comprendre le prix que j’attache à sa politesse.

On rirait à moins, pensait Poliveau à l’aspect du bizarre visage de son maître ; et moi-même je vais éclater s’il me force à l’écouter plus longtemps.

Le colonel reprit le fil de son indignation :