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— Mon maître a toujours été très-pieux, madame la comtesse.

— Pieux tant qu’on voudra, mais cagot comme un rat de sacristie… Allons donc ! il est le premier de sa race à s’enfariner ainsi de momeries… Vouloir, pour l’obliger, que j’ordonne en son nom à son cuisinier d’aller à confesse !… Je vous demande un peu l’amélioration que cela apportera aux ragoûts qu’il nous fait… À son cocher et à son groom d’aller communier !… Vouloir encore que je chasse mademoiselle Marguerite parce qu’on a trouvé le Chevalier de Faublas dans sa chambre. Hélas ! ce n’était que le roman, et non le chevalier !… Vouloir même que j’aille de bonne heure, avant mon chocolat, entendre prêcher à Notre-Dame, en compagnie d’un chenapan comme toi… C’est de la folie la mieux caractérisée…

— Madame la comtesse, je ne suis pas un chenapan, mais…

— C’est bon, c’est bon ! monsieur Joliveau…

— Poliveau… madame la comtesse.

— Je venais voir mon très-pieux neveu pour lui dire… ce que tu lui diras toi-même, puisque je ne puis jamais le rencontrer, puisqu’il est toujours aux offices… que le genre de vie qu’on mène ici n’est point du tout mon fait. On sait qu’il faut aimer Dieu pour obtenir la vie éternelle, infiniment éternelle, j’en ai peur ; aimer aussi son prochain, quoiqu’on général il soit fort peu aimable ; mais cet amour a des bornes… chez moi surtout… Tu lui diras donc que, s’il ne veut pas me laisser vivre à ma guise, me laisser damner tout à mon aise, car, à ses yeux, ce doit être péché mortel que d’aimer Dieu tranquillement ; et en gens bien nés, je partirai demain pour Poitiers, ne voulant pas donner plus longtemps à sa maison le scandale de ma présence.