Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, de manière à n’être presque pas entendu, Poliveau ajouta :

— Et vos favoris ?… et votre moustache ?… ne craignez-vous pas ?…

Le colonel de Lostains ne pouvait plus entendre la voix de son domestique. Il avait descendu l’escalier avec ses jambes de vingt ans, s’était élancé dans sa voiture, et courait déjà, de toute la vitesse élégante de ses chevaux anglais, à la rue de Grenelle, à l’hôtel du ministère de l’intérieur.

Depuis sept ans que Poliveau servait le colonel, il s’était minutieusement étudié à connaître son caractère violent, ses goûts de vieille coquette et ses manières de ci-devant jeune homme, dans le but, chaque jour plus rapproché, de se rendre indispensable. D’année en année, par des moyens sourds et couverts, il s’était de plus en plus emparé de son esprit, en supportant d’abord ses coups, ensuite ses colères, enfin ses mauvaises humeurs. Doué d’une pénétration diabolique, il prévoyait le moment où la vieillesse, jointe aux infirmités, lui livrerait son maître. Mais que d’obstacles de tout genre à vaincre sans bruit ! Il fallait détacher le colonel de l’affection de ses amis, de la surveillance de ses parents, représentés par une vieille tante, femme aussi charmante de caractère que respectable par son âge, et qu’il avait dépeinte au colonel sous les plus fausses couleurs du monde pour la lui faire détester, et empêcher, par là, un-projet dont il avait connaissance, lui Poliveau, qui l’avait vue avec horreur s’implanter à l’hôtel depuis trois jours ; il fallait le détacher de sa maîtresse, la danseuse Praline, qu’adorait le colonel, et dont elle épongeait la bourse avec l’habileté commune à celles de son espèce. Bien d’autres difficultés entravaient encore les plans de l’astucieux valet de chambre. Poliveau ne savait ni lire