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de son père et de lui tout avouer, tant Dieu a mis de force dans l’amour filial. Mais ce n’était qu’une parole, le sentiment n’y était pas. Elle produisit ce qu’elle peut produire, une intention, un geste. L’injustice paternelle devait irrévocablement s’expier.

Il n’était que neuf heures quand Leveneur quitta sa boutique pour se rendre, à trois lieues de chez lui, dans la forêt de Cortavel. On touchait à la fin de décembre ; la nuit était terne et froide ; il bruinait, les chemins se cachaient sous une lame de verglas. Pour un homme endurci comme Leveneur, le froid et les mauvaises routes n’étaient pas un sérieux obstacle. Il fit bravement ses trois lieues en deux heures et demie, en sorte qu’il se trouva à l’entrée de la forêt de Cortavel à onze heures et demie. Il calcula qu’il lui fallait au moins une heure pour arriver jusqu’à la ruelle du Pied-Coupé, où se trouvait le chêne sous lequel était enfouie la cassette de la marquise de Lascars.

Mais, dès qu’il se fut un peu avancé dans la forêt, il s’abaissa sur lui un brouillard si épais, que l’habitude qu’il avait de la forêt de Cortavel lui suffit à peine pour se conduire. Quoique le chemin des Buttes fût assez large, il s’en écartait souvent, et il avait alors toutes les peines du monde à se retrouver. Il éprouva plus d’une fois une commotion nerveuse en se sentant coudoyer par quelque tronc d’arbre, ou frôler le visage par une branche morte. Il s’arrêta un moment pour porter vivement les mains à ses pistolets en voyant ou en croyant voir passer devant ses yeux une lueur écarlate comme celle qui jaillirait d’une lanterne portée dans le brouillard.

Enfin il arriva au rond-point du Mouton noir, et il enfila l’étroite ruelle du Pied coupé, celle où les assassins de la marquise de Lascars, selon l’aveu de l’un d’eux, avaient caché la cassette. L’obscurité était complète ; elle faisait