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qui, par conséquent, les reçoit décachetées deux fois, — par son père et par nous. Voilà une discrète correspondance amoureuse ! Qu’en dites-vous, madame Leveneur ?

— C’est un vrai roman, répondit madame Leveneur, qui, pour la première fois depuis qu’elle aidait par force son mari à commettre tant d’épouvantables sacriléges, goûtait quelque plaisir dans sa triste complicité.

— Oh ! oui, c’est bien drôle ! Mais continue, dit Leveneur à sa femme, qui obéit.


« Vous me dites de ne pas nous désespérer, parce que vous avez conçu un projet qui réussira si je vous aime. Alors, comment voulez-vous que je doute du succès, mon ami. »


— Voyez-vous cela ? voyez-vous les jeunes filles de ce temps-ci ? interrompit Leveneur. Heureusement, Manette est froide comme le temps d’aujourd’hui…

— Ne vous y fiez pas ; Leveneur…

— Quand bien même elle serait comme les autres, est-ce qu’elle oserait jamais, reprit celui-ci, dire à un homme qu’elle l’aime ?

— Peut-être.

— Allons donc ! D’ailleurs, son affaire est faite. Lanisette lui mettra du plomb dans les idées en l’épousant… Mais voyons ce qui suit…


« Voulez-vous que je vous le dise, votre projet ? car je l’ai deviné, et cela assez facilement ; car, à mon sens, il n’en est qu’un de possible. Vous songez à m’enlever, et à dire ensuite à mon père, : À présent, décidez-vous ! Consentez-vous ou non à m’accorder ce qui est déjà à moi ? Et mon père dira oui, parce, qu’en pareil cas les pères disent toujours oui. »