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vraie à être ensemble après huit ans de séparation. Le cœur a des éclairs, mais pas de logique. Ils ne savaient par où commencer le long poëme de l’absence. Enfin, après s’être jetés une troisième fois dans les bras l’un de l’autre, M. de Morieux dit au commandant Mauduit :

— Tu es heureux, toi ?

— Ne le serais-tu pas, mon ami ?

— Ne parlons pas encore de moi. Tu es heureux, n’est-ce pas ?

— Mais oui, très-heureux.

— Tu as renoncé au monde ?

— Comme un cénobite.

— Un cénobite retiré dans un bon château.

— Excellent.

— L’été, tu pêches ?

— Oui, je pêche… qui l’aurait dit ?

— En automne, tu chasses ?

— Beaucoup.

— Ton parc est giboyeux ?

— Extraordinairement.

— L’hiver, tu te recueilles auprès de ton feu, ou bien tu visites tes voisins. De braves gens, sans doute ?

— Oui, mon ami.

— Ah ! voilà le bonheur ! tu l’as pris au gîte.

— Je le crois.

— Et tu l’as trouvé, parce que tu es devenu sage.

— Pas plus qu’un autre, mon cher de Morieux.

— Je te demande pardon, plus sage mille fois qu’un autre, que tous tes amis, que moi surtout ; tu as compris que Paris ne vaut rien à une certaine époque de la vie et quand on y a vécu comme nous. Y vivre garçon, c’est être chaque jour, chaque heure, martyr de son impuissance à suivre les autres, de plus jeunes qui viennent vous rem-