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terre craquait, et tout autour d’eux avait l’engourdissement bleuâtre de la mort.

— Comment nous voir pendant les quelques jours que j’ai encore à passer ici ?

— Ne venez plus, repartit Manette ; entendez-vous ?

— Je vous écrirai.

— Oui, écrivez-moi… Mais on saura que je reçois des lettres… On voudra connaître… Si l’on venait à découvrir… je serais perdue, mon père me broierait, m’anéantirait sous ses pieds… Attendez… écrivons-nous sous des noms supposés… Quels noms ? À mademoiselle Clarisse Trélard, à Serneuil ; c’est un petit village près d’ici. Toutes les lettres passent une dernière fois, par mes mains ; quand je lirai cette adresse, fort indifférente pour mon père, je garderai la lettre, qui la portera. Mais pour vous répondre ?

— J’y pensais. Vous écrirez à M. Jérôme Dervieux, à la manufacture de châles de M. Commandeur, à Saint-Michel-hors-les-Bois. Le concierge, un vieux brave homme de mon pays, recevra mes lettres, je vais le prévenir, et il me les portera lui-même où je suis caché ; Ainsi nous ne cesserons pas de nous dire nos pensées, nos sentiments…

— Nos douleurs, ajouta Manette. Mais il se fait tard, dit-elle, je serais en peine pour vous… adieu, ami…

— Adieu…

— Quand m’écrirez-vous ? demanda Manette.

— Demain.

— Oh ! oui, demain.

Manette allait fermer la croisée, elle se retint pour dire encore :

— Mais si vous êtes découvert, si vous êtes pris, que ferez-vous ?

— Je me tuerai.