Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux lueurs incertaines ; mais le cœur fait litière de tous les passés.

— Chut ! interrompit Manette. Entendez-vous cette voix rauque et avinée ?… C’est celle de l’homme que je dois épouser.

— Vous ne l’épouserez pas ! dit Engelbert avec cette fermeté allemande qui est de granit.

— N’est-ce pas, mon ami ?

— Jamais !

Une seconde fois, Manette tendit sa petite main à Engelbert, qui la pressa longtemps contre ses lèvres.

— Vous êtes bien décidée ? demanda-t-il ensuite.

— À tout, même à la mort.

— Pas encore, reprit en souriant le jeune homme.

— Il faut d’abord vous suivre, allez-vous me dire ? Quelle est la distance de cette branche à terre ?

— Trente pieds environ.

— Aidez-moi, dit Manette en posant un genou résolu sur le bord de la croisée.

— Que voulez-vous faire ?

— Descendre, Et nous fuirons, nous irons ensuite où vous voudrez… Nous marcherons, nous irons loin, bien loin, bien loin…

Charmante imagination ! Le courage, là résolution, prenaient dans cette âme jeune et froissée les couleurs d’un conte de fée.

— Restez ! où vous conduirais-je ?

— Où vous voudrez, vous dis-je.

— Mais on me poursuit, on me cherche. Faut-il que je vous expose ?…

— On vous cherche !… Mais qui ?

— La gendarmerie… la police…

— Vous m’épouvantez !… Qu’avez vous donc fait ?