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— Va pour Manette, dit Lanisette, qui était trop niais pour s’étonner d’être si heureux.

Alors commença entre les trois personnages restés à table un entretien qui se prolongea jusqu’à deux heures après minuit, et dont la conclusion fut que Manette épouserait Lanisette dans un mois.

— Allons ! dit Manette en entrant tout émue dans sa chambre, il est trop tard. Elle attendit encore quelques instants ; mais, ne voyant pas de lumière répondre à celle de son appartement, elle répéta : Il est trop tard ! Son visage était pâle, frémissant, bouleversé. Elle s’assit, se leva dix fois dans la même minute. Oh ! s’écria-t-elle enfin, que j’aurais désiré lui apprendre combien je souffre ! Me marier à un cocher, à un homme qui boit, qui joue, à ce… Mon Dieu ! c’est peut-être un honnête jeune homme, mais je ne l’aime pas, je ne l’aime pas ! plutôt la mort. À qui dire mes peines ? murmurait encore Manette, le cou tendu vers la croisée dans l’espoir de voir s’enflammer un point de l’horizon. Ma bonne mère ne voudrait pas me marier malgré moi, je le sais, mais elle n’ose pas avoir l’ombre d’une volonté devant mon père… Eh bien ! j’aurai de la force toute seule. Je dirai à mon père : Non ! non ! non ! tuez-moi, et il me tuera : je me laisserai faire.

Après ces paroles, coupées de piétinements nerveux, de hoquets étouffants, et mêlées d’abondantes larmes qui ruisselaient en perles d’argent sur sa jolie, toilette, Manette, vaincue par la douleur, allait s’agenouiller pour dire sa prière lorsqu’elle entendit frapper deux petits coups au carreau de sa croisée. — C’est le vent, pensa-t-elle, qui pousse les branches des peupliers contre la maison. — Mais ce soir il n’y a pas de vent, se dit-elle presque aussitôt. Les deux coups se répétèrent. Elle se leva cette fois, alla hardiment à la croisée ; elle souffrait trop pour songer à la peur. Elle ou-