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qui eût tué un homme pour un oui ou pour un non, s’efforçait de paraître calme au moment où on l’accusait devant sa famille d’être un assassin.

— Ce n’est pas tout, poursuivit l’implacable Lanisette.

— Comment ! ce n’est pas tout ?

— D’autres disent…

— Je suis curieux de savoir ce qu’ils disent…

— Que vous êtes sorcier.

— J’aime mieux cela.

Cette fois, l’éclat de rire de Leveneur fut un peu moins faux.

— Sorcier ! s’écria Manette. Qu’ont-ils donc, pour accuser mon père de tant de manières ?

— Oui, mademoiselle, comme je bois à la chère vôtre, ils prétendent qu’il n’est pas naturel que, dès qu’il y a une bonne affaire, à traiter à cinquante lieues de Saint-Faréol, votre père en soit prévenu le premier et se présente avant les autres ; qu’il n’est pas ordinaire que, lorsque le blé va augmenter sur les marchés, votre père achète deux mois d’avance tous les grains, comme s’il lisait dans la pensée des fermiers.

Madame Leveneur était visiblement mal à l’aise ; elle regardait son mari pour lui emprunter une contenance. Leveneur ne laissait plus rien paraître sur son visage. — Décidément, ils ne savent rien, et ils ne sauront jamais rien, pensait-il.

— Ils disent encore que, dès qu’il y a un bon placement d’argent à faire, M. Leveneur le sait le premier ; qu’ainsi tout dernièrement il a fait une rente viagère de six mille francs à une personne qui n’avait que quarante ans, et pour un bien de quatre-vingt mille livres seulement, et lorsque nulle autre n’osait donner mille écus. Eh bien ! au bout de six mois, cette personne s’est tuée… Qui avait