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reste, il charmait toutes les filles d’auberge par sa manière de poser son bonnet sur l’oreille, et par les gracieusetés qu’il leur faisait. Personne ne sifflait comme lui la romance au moyen d’une carte qu’il plaçait par le tranchant sur ses lèvres harmonieuses.

On devine aisément les propos qu’échangèrent le jeune conducteur et son hôte jusqu’à ce que le vin les eût un peu échauffés. Ce ne fut pas plus insignifiant, toutefois, que ce qui se dit, au début d’un repas, à la table des gens de qualité.

Mais, quand ils eurent passé des treilles de Bordeaux à celles de Volney, de celles de Volney aux clos de Médoc, et des clos de Médoc à ceux de Chambertin, tout en se versant par intervalle de petits verres de madère et de porto, car la cave de l’ancien garde-chasse était richement meublée, l’intimité s’augmenta, ou prit du moins un autre caractère entre l’hôte et le convive.

— Tu dois savoir bien des choses, dit Leveneur à Lanisette, toi qui passes ta vie sur la grande route, qui vois tant de gens, qui entends tant de propos ?

— Ma foi ! à vous dire vrai, monsieur Leveneur, la chose dont j’entends le plus parler depuis trois ou quatre ans, c’est vous.

— Moi ?

— Comme je vous le dis. On ne s’entretient, dans les auberges, que de vos propriétés, que de vos grands biens, de vos acquisitions, que de votre fortune enfin, qui passe, dit-on, un million.

— Les imbéciles ! dit Leveneur, qui ne parut pas goûter infiniment cette nouvelle phase de la conversation.

— Ah ! ils en disent bien d’autres !

— Vraiment ! et quoi donc ?

L’air discret de Lanisette ne plut pas à madame Leveneur.