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entrer dans la famille, pour épouser Manette, que ne ferais-je pas ?

— Choisissez, monsieur Janton, dit ensuite Leveneur à sa victime. Voici un sac de noir de fumée et un sac de farine : lequel des deux préférez-vous vider dans ces petits sacs de papier ?

— Mon Dieu ! je n’ai pas de préférence.

— Vous êtes déjà en noir, prenez le noir. Les petits accidents se verront moins ; d’ailleurs, nous avons des brosses et du savon…

— Mais, mon père… dit Manette.

— Songez à votre dîner ; allez embrocher votre oie.

Manette se tut.

— Pauvre enfant ! pensa Janton. Pourquoi son père n’est-il pas aussi aimable avec elle qu’avec les étrangers ?

— Faites comme moi, dit Leveneur à Janton, prenez, une de ces cuillers en fer et plongez-la dans votre sac.

Janton imita Leveneur ; mais, plongeant trop fort la cuiller dans le sac, le noir s’éleva comme un nuage et couvrit sa chemise.

— Très-bien ! dit Leveneur… Maintenant versez dans le petit sac de papier et tassez jusqu’à ce qu’il soit plein.

Janton s’en versa la moitié sur le pantalon.

Le sac pesait cent livres, c’est-à-dire que, pour le vider, il fallait quatre ou cinq cents opérations comme celle qu’il venait de faire.

À la dixième, le maître clerc n’était plus reconnaissable. Le noir de fumée l’avait défiguré ; il en avait au front, sur le voile des paupières, dans le nez, sous les lèvres.

— Courage ! disait l’impitoyable Leveneur, courage ! c’est le baptême du commerce. Ah ! dame ! vous voulez être négociant… M. Laffitte a ainsi commencé.

Madame Leveneur s’était retirée au fond de la boutique