Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils n’avaient pensé ni l’un ni l’autre à cette légère difficulté.

— Je m’appelle Jean-Paul Engelbert ; l’adresse doit encore porter : dessinateur pour châles à la manufacture de M. Commandeur, à Saint-Michel-hors-les-Bois.

— Oh ! ceci je le savais, reprit Manette.

— Pardon, je craignais que vous n’eussiez oublié…

— Depuis quelques heures seulement !… Voici une lettre pour vous.

Le hasard avait voulu qu’Engelbert, qui n’attendait pas de lettre de sa mère, en reçût une ce jour-là.

— Mais, reprit Manette, je ne puis vous la remettre ; je serais en contravention. Il nous est défendu de nous dessaisir d’aucune lettre avant l’heure de la distribution, et elle n’aura lieu que demain à huit heures. Ah ! il est bien fâcheux que vous ayez fait une si longue course pour rien.

— Oh ! pas pour rien, dit Engelbert ; car je ne venais pas pour chercher une lettre de ma mère.

Réflexion naïve qui fut suivie de cette question non moins naïve de Manette :

— Et qu’êtes-vous venu faire à Saint-Faréol ?

Après sa question Manette resta elle-même interdite.

— J’étais venu… dit avec embarras Engelbert, ne sachant pas si j’avais le droit de la garder… vous rapporter cette reine-marguerite oubliée par vous…

Quel éclat de rire, à pareille réponse, n’aurait pas poussé une jeune Parisienne… qui n’aurait pas aimé.

Manette restait dans le silence.

— Je ne la garderais que tout autant… reprit Engelbert, que…

Cependant la finesse de la femme, celle qui ne fut vaincue que par celle du serpent, conseilla à Manette ce subit