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pée du vide laissé au milieu du bouquet, n’avez-vous rien fait pour cacher ce blanc ? Est-ce avec intention ?

— Vous mettez le doigt sur la douleur, répondit soucieusement l’artiste. J’espérais toujours placer à cet endroit une fleur supérieure en beauté à toutes celles que vous voyez là ; le bouquet est fini, et je n’ai pas découvert ce que je cherchais, ce que je cherche encore, cette fleur supérieure.

— Et pourquoi en mettre une supérieure ? reprit Manette, qui ne savait pas qu’en ce moment elle laissait échapper le trait de génie que l’artiste, épuisé par sa propre création, n’avait pas pu produire.

— Quoi ! vous croyez, mademoiselle, balbutia Engelbert, qu’une fleur simple au milieu de ces fleurs somptueuses…

— Mais oui, monsieur,… et, plus elle sera simple, plus, je crois, cela sera beau… Tenez, dit Manette en détachant de sa ceinture la marguerite qu’elle avait cueillie à la Prairie, essayez.

Par un hasard merveilleux, la marguerite tomba juste au cœur du royal bouquet, et si pittoresquement, qu’Engelbert, étonné de l’effet, s’écria :

— Laissez ! laissez, mademoiselle, mon œuvre est finie ! Voilà donc ce qu’il fallait !

Deux coups, de crayon, quelques teintes, ici légères, là fortes, reproduisirent la marguerite, et elle fit admirablement au milieu du bouquet, qui, par ce contraste, devint à l’instant même un chef-d’œuvre.

— Vous êtes donc un grand artiste, mademoiselle ? demanda Engelbert à Manette en remarquant, pour la première fois, la belle coupe de visage qu’il avait sous les yeux. Manette baissa les siens. Cet éloge si vrai, le son de voix de celui qui le faisait, cette âme qui venait de toucher son