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moins de l’avoir par son père : ayons-la par sa mère. Attaquons madame Leveneur. — C’était hardi, mais c’était neuf.

Janton avait été chargé autrefois par le père de madame Leveneur de régulariser quelques affaires contentieuses de la famille. On s’adressa naturellement à lui, à la mort du vieillard, pour écarter les difficultés qui gênaient l’opération des partages. Il termina tout, et il fut payé de ses peines. Jusqu’ici, on ne devine pas comment Janton entrerait par une voie judiciaire chez Leveneur. Un clerc de notaire ne se décourage pas pour si peu ; surtout un clerc de quarante ans, rongé d’ambition, ayant vu trois générations de notaires faire fortune dans l’étude où, lui était resté aux maigres appointements de quinze cents francs. Aussi avait-il des bouffées de tristesse et de désespoir, comme les vieilles filles seules en éprouvent quand le mari ne doit plus résolument se présenter.

— J’ai mon affaire ! s’écria-t-il un soir d’hiver en secouant la neige de sa vieille redingote d’alpaga, qu’il jeta ensuite avec dédain sur une chaise, lui si soigneux ! comme s’il n’était plus destiné à l’endosser. Justement, c’est demain dimanche, pensa-t-il ; les Leveneur ont moins d’occupation, madame Leveneur pourra me recevoir. Écrivons-lui que nous avons à l’entretenir d’une affaire qui l’intéresse au plus haut degré.

Son billet écrit, Janton, qui n’avait pas de domestique, le porta lui-même à la boutique de madame Leveneur, ayant soin, quoiqu’il fût déjà tard, de n’être pas aperçu de quelque habitant. Dieu sait jusqu’où seraient allées les interprétations, les inductions ! Un vieux clerc a la prudence monacale d’une sœur tourière.

Manette fermait la boutique quand Janton lui tendit le billet.

— C’est vous, monsieur Janton ? Vous m’avez fait peur.