Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sidéré l’hiver comme un oncle qui vous fait la morale, mais dont on doit hériter.

Au milieu de ces grands carrés bien nivelés et polis, où Napoléon aurait rêvé quelque plan de bataille, on distinguait, aux larges lames de lumière horizontale partie du disque solaire, des touffes d’arbres, des toits de plomb, un grand développement de murs et de grilles de fer. En approchant, le vieux château de Chandeleur se montrait, derrière sa porte, rouillée et à l’extrémité de ses triples allées de tilleuls et de marronniers, dans toute sa magnificence architecturale. Il était sombre comme la saison, et en parfaite harmonie avec le ciel gris qui lui servait de fond et de voûte. Décembre, s’il eût été seigneur de l’endroit, n’aurait pas choisi de plus convenable demeure. Pas de lumière aux deux étages dont il se couronnait sous sa toiture d’ardoise diagonale. Les deux girouettes, plantées dans le cœur de deux bouquets de plomb, gémissaient comme deux orfraies aveugles.

Le château de Chandeleur était pourtant habité par un des plus braves et des plus joyeux gardes du corps du temps de la Restauration. C’était là qu’après les plus hardies équipées le commandant Mauduit de la Vallonnière était venu cuver ses amours, ses duels, ses intrigues, nous n’ajouterons pas et ses dettes, car il avait toujours été trop riche pour en faire, malgré ses effrayantes prodigalités. On ne lui avait connu qu’un seul défaut, dont il s’était sans doute corrigé en quittant la cour, le monde et les plaisirs : c’était celui de montrer une excessive vivacité dans ses colères jalouses, de mettre un peu trop sa cravache au service de sa main, et sa main au service de ses disputes intérieures avec ses maîtresses. Chacune, d’elles pouvait dire, en indiquant une oreille déchirée, le front coupé d’une ligne bleue ou le cou estompé d’une marque nébuleuse :