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dans quelle pensée elle se livrait à cette timide perquisition ?

— La voilà ! s’écria Manette dans une explosion de joie : — les deux ormes, la toiture en flèche, un corps de logis et deux pavillons ! — C’est là qu’il est.

Madame Leveneur n’était pas une mauvaise mère ; elle souffrait quelquefois des durs traitements exercés par son mari sur leur enfant ; mais deux causes l’empêchaient de faire prévaloir ses bons sentiments. Fille de fermier, élevée elle-même très-rudement, elle ne voyait pas toujours un sujet de peine dans les obligations accablantes et serviles de Manette. Ensuite elle craignait son mari au delà de toute expression. Elle l’avait épousé par convenance, car on se marie ainsi, même dans la campagne. Il avait convenu à son père qu’elle devînt la troisième femme d’un garde-chasse de M. de Meursanne, d’un homme qui, avec son habit vert à boutons d’or portant des têtes de loup, pouvait passer pour une espèce de colonel parmi les gardes-champêtres, qui avait la haute main sur les foins, et le droit ou la liberté de chasser le gibier dans les parcs, bois et terres du château. Madame Leveneur craignait beaucoup son mari, disons-nous ; cette crainte allait parfois jusqu’à la terreur. Elle avait peur des emportements d’un homme que rien ne retenait, ni le respect, ni l’usage, ni l’éducation, ni l’ombre d’un sentiment religieux, quand la colère s’emparait une fois de lui. Toute la violence du chasseur lui montait au cœur, au visage, au cerveau ; il ne se connaissait plus. Il frappait, il renversait, il aurait même tué. Un jour que son cheval avait deux fois refusé d’entrer dans un chemin qu’il n’avait pas l’habitude de prendre, Leveneur lui enfonça son couteau de chasse dans le ventre et l’abattit mort à ses pieds. Ce cheval lui coûtait quinze cents francs.