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ment le judas de la pièce supérieure et lui jetait un verre d’eau glacée sur la tête en lui disant : — Voilà de l’eau pour faire aller le moulin. Soudain la pauvre enfant, réveillée eu sursaut, effrayée de la voix de son père, se frottait les yeux, agitait le pied, tirait le chanvre et reprenait sa tâche.

À minuit, elle regagnait sa chambre placée au second et dernier étage de la maison, et son unique distraction était de rester pendant quelques minutes accoudée sur la croisée taillée en œil-de-bœuf, pour voir la campagne, pour respirer l’air de la nuit. Quand le temps était clair, Manette apercevait, à travers le rideau mobile des peupliers plantés sous ses fenêtres et trois fois hauts, comme la maison, la promenade de la Prairie. Si le temps était sombre, elle voyait rougir à travers le brouillard les milliers de croisées des manufactures qui bordent cette promenade. Un vague instinct, un de ces mouvements prophétiques comme il en court dans le sang de la jeunesse, toujours sur le trépied, semblait confier à Manette qu’elle n’attachait pas, qu’elle ne concentrait pas sans motif son attention sur ce point isolé dans la campagne. Elle y revenait malgré elle. Ces aspirations secrètes, mystérieuses comme l’âme d’où elles émanent, avaient-elles trouvé leur explication ? Mais une fois, par une belle soirée de printemps, Manette, qui ne se mettait ordinairement à cette croisée chérie qu’après s’être à demi déshabillée, y courut aussitôt entrée et parcourut avidement du regard la ligne lumineuse des manufactures pour en distinguer une. Sa recherche paraissait pleine de désir et d’inquiétude. Elle avait caché sa lampe, de peur d’être vue. Naïve crainte ! Qui donc, à une lieue de Saint-Faréol-dans-les-Bois, aurait songé à s’assurer que c’était Manette, la fille de M. Leveneur, qui avait les yeux fixés sur les usines de Saint-Michel ? D’ailleurs, comment deviner