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elle les charmes de l’enfance, et laissaient entrevoir une merveilleuse jeunesse. Sous un simple bonnet à la paysanne, dont les côtés s’appliquaient avec leurs mille petits plis sur ses cheveux noirs, et venaient partager la conque délicate de ses oreilles, descendait grave, réfléchi, mais correctement beau, un visage frais, adorable. Le front, par sa blancheur suave, donnait une valeur extraordinaire à l’éclat des yeux, à la longueur soyeuse des cils, ces conducteurs électriques et mystérieux de toutes les étincelles parties de l’âme, du cœur et de l’esprit. Noirs et voilés, les yeux de Manette disaient et cachaient à la fois l’innocence et l’ardeur de ses sentiments. Sa bouche était riante ; elle allait vers le désir, l’émotion, tous les appels extérieurs, ainsi que la saillie un peu relevée de son nez, en cela d’un ensemble miraculeux avec le dessin des lèvres et l’avancement délicatement charnu du menton. En harmonie avec ce délicieux visage, le cou de Manette, l’arc de ses épaules, le dessin de ses bras, de sa poitrine jetée en avant comme un bouquet, offraient le caractère d’une fille de la campagne que le hasard de la beauté et les soins d’une éducation choisie ont élevée au-dessus de son rang sans la confondre avec les personnes de la ville. Si Manette, pour être comprise, avait besoin d’être comparée, on dirait qu’elle ressemblait, mais à une foule de nuances près cependant, à ces ravissantes demoiselles de compagnie qu’on voit à Vienne et à Berlin, à ces types divins que Van Ostade, Skalken et Miéris ont immortalisés dans leurs tableaux sous le nom de la belle Fileuse, de la belle Chocolatière, etc.

Manette, la demoiselle de comptoir, le commis du bureau, le garçon de peine de la boutique, le souffre-douleur de la maison, avait été élevée dans la meilleure institution d’Orléans. Non que son père, orgueilleux à la manière de certains parvenus, eût voulu, en lui donnant cette brillante