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le garde-chasse ? Ici commence déjà l’ambiguïté. Il avait été employé chez M. de Meursanne, qui était loin d’être prince ; simplement comte, mais resté excessivement riche, parce qu’il avait eu le courage de ne pas émigrer, il avait repris, sous la Restauration, l’ancien train de vie de sa maison ; connue par ses goûts pour la chasse. Les écuries du prince de Condé pouvaient seules être comparées à celles de M. de Meursanne. Il avait quarante chevaux, de beaux chenils fournis par l’Angleterre, enfin les plus riches équipages de chasse qu’il y eût en France, toujours, bien entendu, après ceux du prince de Condé. Mais, quelque liberté qu’il laissât à ses gens de le voler, et les employés de sa maison ne s’en faisaient pas faute, il était difficile, de comprendre comment il aurait été la seule cause de la fortune qu’on attribuait a M. Leveneur. Que son ancien garde-chasse eût bénéficié sur l’achat et la revente des chevaux, la coupe des bois, les foins et autres trafics, c’est incontestable ; mais ces gains n’expliquaient pas la position qu’il s’était créée depuis la mort de son protecteur. M. de Meursanne ne lui avait laissé, en mourant, qu’une pension de quinze cents francs. Ainsi, cette pension et les profits de son bureau de poste, qu’il devait à l’influence du neveu du comte, auraient dû composer, plus quelques économies, la masse de ses biens réels.

Or, se demandait-on dans le village de Saint-Faréol et au loin, comment Leveneur achète-t-il toujours, depuis dix ans, des quartiers de terre, des vignes par-ci, des carrières d’ardoises par-là, des moulins, des bois ? Où, prend-il tout cet argent ? Il prête à gros intérêts. Leveneur prêtait sans doute ; et qui ne prête pas dans les campagnes ? Mais, eût-il prêté encore davantage, il n’aurait jamais pu, avec les intérêts les plus usuraires, faire les acquisitions dont il s’arrondissait sans cesse. D’année en année, sa réputation