Page:Gozlan - Balzac chez lui, 1863.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
BALZAC CHEZ LUI.

donnait pas tout simplement à la pente naturelle de son esprit, en plongeant ainsi dans cette mer sans fond de rubis, de perles, de topazes, de malachites et de sable d’or. Il faut bien que je l’avoue, je crois fermement que Balzac avait un but en me brûlant ainsi les yeux aux reflets rapides, chatoyants, de tous ces millions frappés à l’hôtel des monnaies des mille et une nuits et à l’effigie du sultan Haroun-al-Raschid. Je venais lui demander de la prose pour mon journal ; je n’étais à ses yeux qu’un acheteur. Je venais chez lui m’approvisionner de copie. Il avait fait ce calcul assez exact en général, mais faux en ce qui me concernait : Si je démontre à ce négociant que je suis millionnaire, il ne marchandera pas, parce qu’on ne marchande pas ceux qui n’ont pas besoin de vendre. Cette fois-ci, c’était lui qui agissait en marchand ; les rôles étaient changés : il fallait bien prendre celui qu’on me laissait. J’agis en artiste, et je l’estimai fort en acceptant du premier mot le chiffre de sa proposition. Marché fut conclu. Je me retirai en emportant les épreuves curieusement raturées et surchargées de la Dernière incarnation de Vautrin, un des plus formidables chefs-d’œuvre de Balzac. »

Sans vouloir rien déranger à cette curieuse description du cabinet de Balzac, sans prétendre émousser