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BALZAC CHEZ LUI.

« Au milieu de la pièce était une petite table, — la table de travail sans doute, — sur laquelle reposait un volume unique : un dictionnaire français.

« Balzac, enveloppé d’une ample robe de moine jadis blanche, une serviette à la main, essuyait amoureusement une tasse de porcelaine de Sèvres. À peine m’eut-il aperçu, qu’il entama, avec une verve qui s’éleva de seconde en seconde à la note du fanatisme, ce singulier monologue que je reproduis scrupuleusement. — Voyez-vous, me dit-il, cette tasse ? — Je la vois. — C’est un chef-d’œuvre de Watteau. J’ai trouvé la tasse en Allemagne et la soucoupe à Paris. Je n’estime pas à moins de deux mille francs cette précieuse porcelaine ainsi complétée par le plus merveilleux des hasards. Le prix me frappa d’un éblouissement subit : deux mille francs ! Je pris la tasse par politesse, et un peu aussi pour cacher un sourire d’incrédulité. Balzac poursuivit intrépidement son exhibition phénoménale : — Considérez, je vous prie, cette toile qui représente le Jugement de Pâris, c’est la meilleure du Giorgione. Le musée m’en offre douze mille francs ; D-O-U-Z-E M-I-L-L-E francs. — Que vous refusez, ajoutai-je à mi-voix. — Que je refuse, que je refuse net, répéta bravement Balzac. — Savez-vous, s’écria-t-il en s’exaltant, savez-vous que j’ai ici