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BALZAC CHEZ LUI.

tait, et il comptait au moins autant de bonnes fortunes que le brillant Lauzun, qui n’eut jamais à coup sûr ni la rare perfection de corps ni la radieuse beauté de visage de notre cher et regrettable Merle.

Il n’avait qu’un défaut, mais ce défaut était grand, très-grand pour nous, car il le rendait tout à fait inutile à la société du Cheval-Rouge, où, à la vérité, nous ne l’avions pas introduit sans violence. Merle n’avait pas le plus léger grain d’ambition sous la peau ; il n’était rien, n’avait jamais voulu rien être, et il ne voulait rien devenir. « Je vous servirai tant que vous voudrez, tant que je pourrai, disait-il, mais, je vous en prie, ne vous occupez pas de moi. »

L’éloquence de Balzac obtint pourtant de Merle qu’il accepterait une place de bibliothécaire. Nous promîmes tous de travailler à la réalisation de l’engagement pris par Balzac. Ce qu’il accepta pareillement, ce fut de commander nos dîners hebdomadaires et de veiller à leur parfaite ordonnance. À cet égard, la violence exercée sur lui fut beaucoup moins sensible.

Merle était une fourchette d’or tombée du ciel. Personne depuis Néron, depuis Lucullus, depuis Grimod de la Reynière, personne n’a su manger comme lui,