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BALZAC CHEZ LUI.

son absence, fête, bal ou soirée. Cela lui fut facile, comme cela sera toujours facile aux femmes du grand monde, habituées à vivre, malgré la communauté conjugale, dans une complète indépendance. Mais la force de volonté déployée par la comtesse pendant la crise qu’elle avait traversée eut une épreuve plus redoutable encore à subir quelques jours après.

« Madame de B… fut obligée, à cause des relations officielles du comte avec l’ambassade d’Autriche, de figurer en habits de deuil au service funèbre de la Madeleine. Il n’y avait pas à alléguer de prétexte de maladie ; la prudence exigeait de l’audace, de la témérité, dût cette témérité coûter la vie.

« Pendant deux heures, les yeux fixés sur une tenture noire, le cœur brisé par des voix touchantes mais déchirantes, pendant deux heures qui furent deux éternités, elle s’enivra du spectacle de son amant étendu mort devant elle, sans pouvoir pleurer, sans pouvoir se plaindre, sans pouvoir gémir ni prier à l’angle de cette bière, sans pouvoir crier à ce mort chéri : « Adieu ! adieu ! adieu ! »

« Elle fut condamnée au supplice de l’indifférence, à la torture de la dignité.

« Dieu la punissait déjà bien cruellement ; il lui défendait les larmes. Aussi ses larmes comprimées l’é-